Anesthésie

Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle sorte de migration, un exode des temps modernes. L’Homme marche vers ce pays insensible, froid et calculé : l’anesthésie.

L’exode en anesthésie est amorcé, sa pente glissante est à nos pieds. Son aseptisation distille son poison.

Apathie sensorielle.
Agueusie vitale.
Atonie cardiaque.
Amnésie de soi.
Asthénie cérébrale.
Anémie pneumatique.
Agnosie divine.


Noir tableau qui dépeint l’ambiance dans laquelle l’humanité patauge et se noie en ce début de siècle bien entamé déjà. Une lente agonie silencieuse.

L’Homme s’asphyxie au sein d’une ruche métallique qui suinte de partout, un essaim de fer peinant à survivre sans ses béquilles miteuses rongées par la vermine. L’Homme est emporté dans une course folle, une traversée désertique. Un rallye à rallonge sans arrivée ni départ.

Où sont les résistants ? Où sont les vivants ?
Les mercenaires, les pirates, les engagés, les destitués, les chevaliers, les indignés ?

Allons-nous ramper encore longtemps ? Sommes-nous satisfaits de survivre dans ce royaume de nos élans morts ? Sommes-nous prêts à assumer nos propres choix et à faire entendre nos voix ?

Émancipons-nous de cette chape de plomb née de l’acceptation et de l’allégeance à cette cohorte de lois fabriquées au détriment des lois sacrées, universelles et naturelles. Sacrifions leurs rejetons qui nous collent à la peau, libérons les entraves et abandonnons leurs ramifications nombreuses et insidieuses.

Résilions le contrat tacite, avec fermeté.

Une marche alternative se dévoile alors : l’exode en ataraxie*.
Faire un pas vers le souvenir, un seul. Et la voie se déroule sous nos pieds.

Se souvenir du chant des saisons et du silence qui écoute.
Se souvenir d’honorer l’aube nouvelle et les promesses qu’elle contient.
Se souvenir du souffle qui transpire et féconde la terre que nous sommes.
Se souvenir de l’eau qui abreuve et de l’étreinte qui réchauffe.
Se souvenir de souffler sur les braises pour raviver le brasier.
Se souvenir de la bonté et de la tendresse, ardemment.
Se souvenir de la plénitude de contempler.
Se souvenir du contentement de la simplicité.
Se souvenir d’accompagner l’éclosion.
Se souvenir de la lumière aimante.
Se souvenir du parfum d’une pluie d’été et de la fraicheur de la rosée.
Se souvenir de la craie sur les terrasses et de l’écorce des arbres.
Se souvenir d’être aussi grand que le ciel et du feu des entrailles.
Se souvenir du coeur qui palpite et du sacré qui nous habite.
Se souvenir de l’absence de peur et se souvenir de la foi.
Se souvenir de l’innocence et de la joie.
Se souvenir du Verbe premier.
Se souvenir de l’autorité qui se dresse pour la justice.
Se souvenir du temps qui n’est pas un marchand.
Se souvenir de l’effleurement de la Grâce.
Se souvenir des embruns d’autrefois.

Nous pourrions aisément nous enliser dans la pensée que Dieu a déserté ce monde.

Puis, un seul regard vers ces manifestations, et leur caresse exhume le coeur de l’être.

Nous, vous, ils, elles ne sont pas seuls.
Nous, vous, ils, elles sont attendus.
Voici venu l’exode en ataraxie.

 

Marine Bernard

* ataraxie (du grec ἀταραξία / ataraxía signifiant « absence de troubles ») : Tranquillité, impassibilité d’une âme devenue maîtresse d’elle-même au prix de la sagesse acquise soit par la modération dans la recherche des plaisirs (Épicurisme), soit par l’appréciation exacte de la valeur des choses (Stoïcisme), soit par la suspension du jugement (Pyrrhonisme et Scepticisme).

Octobre 2020 - Crédit photo : Marine Bernard - Lieu de la photo : Chapelle Notre Dame des Auzils, France

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